dimanche 17 juin 2012

Le dragon héraldique

Dans la classification héritée du Moyen Âge, le dragon est le roi des reptiles. Emblème de certaines légions romaines (ce que l'on retrouve dans le dragon du pays de Galles), il est très présent dans les Bestiaires du Moyen Âge et dans les enluminures des manuscrits : en tant qu'emblème pré-héraldique, il décore les bannières païennes (maures, sarrasines ou encore turques...).
Dragon, Très riches heures de Champagne (présentées ici),
Bibliothèque municipale de Châlons-en-Champagne, Ms 1716 f°67v (©Interbibly)
(d'autres illustrations de dragons tirées de Bestiaires peuvent être admirées sur le site The Medieval Bestiary)
   Le dragon, figure diabolisée par la religion chrétienne, est fréquemment représenté vaincu par saint Georges. Ce dernier porte un écu d'argent à la croix de gueules.
William Bruges kneeling before George, Bruges Garter Book, Ms Stowe 594 f°5v (©The British Library)
   Dans les premiers temps de l'héraldique, le dragon est utilisé dans les armes imaginaires : Uter Pendragon (père du roi Arthur), certains personnages de la Bible, différents rois de royaumes lointains pour lesquels on créait des armoiries fictives. À la même époque, le royaume d'Aragon affichait un cimier en forme de dragon (armes parlantes).
-- "Argent, a wyvern vert armed gules", Uter PendragonCoats of Arms in the time of Henry VI,
BL Ms. Harl. 2169 f° 4 v, édité ici.
-- "d'or au dragon d'azur", Josué, Du Cros, Livro do Armeiro-Mor f°1, 1506-1509
(©Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbonne)
-- "d'or à au dragon de sinople", Josué, Coelho, Tesouro de Nobreza f°2, 1675
(©Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbonne)
  • La langue
  • Les images
  • Pour aller plus loin - Le dragon à quatre pattes
• La langue
– Définition héraldique
dragon dès l’AF (Brault, il est crêté ordinairement) ; dragonné depuis ORL (av. 1342).
   Le dragon héraldique peut avoir deux pattes (dragon continental) ou quatre (dragon anglais).
   Il peut être ailé, bicéphale, cresté (AF), éployé (aux ailes étendues), mariné (à queue de poisson), monstrueux (à tête humaine). Par paire, on les qualifie d'adossés.
   Est dragonné tout animal dont la queue se termine en queue de serpent (lion...).
   Un serpent ailé est un amphiptère ou amphistère. Bara blasonne un dragon aislé, ce qui laisserait supposer qu’on pouvait représenter un dragon sans aile à la fin du XVIe s.
   Gringolé se dit de toute pièce, mais tout spécialement la croix, dont les extrémités se terminent par des têtes de serpent/dragon.

– Étymologie (selon le CNRTL)
dragon : v. 1100 ; du lat. draco, -onis ; du grec δράκων, issu du verbe δέρκομαι "regarder fixement ou d’un œil perçant".
dragonné : 1555 ; de dragon, suff. -é.
dragon
A. 1. v. 1100 dragun "animal fabuleux" ; 1176-81 hérald. ; 1663 fig. dragon de vertu ; 1672 dragon "femme acariâtre" ; 2. 1130-40 dans l’iconogr. chrét. symbole du démon ; 3. 1275-80 dragons volanz "phénomène qui se produit dans l’atmosphère" ; 1686 "gros-tourbillons d’eau" ; 4. 1690 (Dragon, est aussi une Constellation céleste, vers le Pôle Arctique) ; 5. 1690 (Dragon, est aussi une maladie qui vient aux yeux des chevaux) ; 1694 "tache dans l’œil de l’homme" ; 6. 1800 (Dragon, serpent) ; 1803 (Dragon, lézard volant).
B. v. 1100 dragun "étendard" ; XVIe s. (faire voler le dragon) ; 1594 "soldat de cavalerie".
••• Empr. au lat. draco, onis class. "animal fabuleux ; constellation", chrét. "diable, démon" ; b.lat. "enseigne de cohorte". •••
Draco, empr. au grec drakon (δράхων) provenant du verbe derkomai (δέρκομαι) qui signifie "regarder fixement ou d’un œil perçant ; briller (lumière)".
dragonné
1. 1555 hérald. adj. dragonné (J. Le Feron, Simbol armorial, Paris, p. 37) ; 2. v. 1570 dragonner "tourmenter" ; 3. 1688 "faire des dragonnades".
••• Dér. de dragon ; suff. . •••
[FRA dragon ; ENG wyvern (2 pattes) ou dragon (4 pattes) ; DEU Drache ; NED draak ; ESP dragón ; ITA dragone]
[FRA dragonné ; ENG ~-dragon ; DEU in Drachenschwanz auslaufend ; NED gedraakte ; ESP dragonado ; ITA dragonato]

• Les images
– Le dragon "classique"
-- Exemple de dragonHeraldic Treatise by Adam Loutfut,
Ms Harley 6149 f°16v, Ecosse, v. 1494 (©The British Library)
-- "d’argent au dragon de gueules, la queue terminée par une tête de serpent",
Jean, vicomte de Corbeil, seigneur de Grez et Jalemain, LBR 188 (©Archives Nationales)
-- "d’argent au dragon de gueules", Mesze, ETO f°20v, 12) (©BNF)
-- "de gueules au dragon d'argent, les pattes et la langue d'or",
Gottfried, burgrave de Drachenfels, BEL f°18 (©BNF)
-- "d’azur à une épée d’argent, garnie de gueules, accostée de deux dragons d’or adossés, lampassés de gueules, les têtes contournées", Colart Dimenche, dit le Lombard, Cour amoureuse 782 (d'après Boos 608)
-- "d’or au dragon bicéphale et éployé de sable", Della Vipera, Rome (d'après Boos 609)
-- "d’azur au griffon dragonné d’or, au chef [cousu] d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or rangées entre les quatre pendants d’un lambel de gueules", Belabusca, arm. Alidosi, XVIIe s., Arch. di Stato, Bologne (d'après Boos 624)
-- "d’argent à la croix gringolée de gueules" Hune, alias Huyn d’Amstenraede, Gelre 909 (d'après Boos 256)
– Le dragon et le wyvern anglais
-- "Gules, three wyverns [dragons] passant in pale ermine", Blossum, 1480-1500,
Peter le Neve's Book f77b, p. 245 (d'après Foster 1904)
-- "Argent, on a bend sable between two lyons of the second, a dragon passant of the first, non identifié, 1480-1500,
Peter le Neve's Book f63, p. 225 (d'après Foster 1904)
-- "Or, two serpents entwined in pale sable", defaced. A trick at the foot of this page: "or, two wyverns sans wings entwined gules", Roy de Berberye, 1422-1461, Randle Holme's Book f66b, p. 106 (d'après Foster 1904)
-- "Gules, a dragon [wyvern] sejant wings extended argent", S. Robard Trentte (rightly Brent), 1422-1461,
Randle Holme's Book f51b, p. 81 (d'après Foster 1904)
N.B. Images remplacées le 01/11/2012. Il est intéressant de noter que la différence entre les appellations "dragon" et "wyvern" n'était pas aussi nette au XVe siècle que maintenant.

– Le dragon germanique
-- "d’argent au dragon de gueules", Kilchheim, ZUR 303 (d'après Boos 606)
-- "une tête de dragon de gueules, crêtée de touffes de plumes, dentée et cillée d'or",
cimier des armes Rödelheim, Gelre 45 (d'après Boos 200)
-- "d'azur au dragon d'or", (King Drück Swen?), Wappenbuch von Hans Haggenberg,
Cod. Sang. 1084 f°20 (©Stiftsbibliothek, St. Gallen)
-- "In Schwarz auf silbernem Berg (Felsen) ein goldener, auffliegender Drache mit zwei Beinen",
v. Neideck, Österreich, Scheibler Wappenbuch f°442, 1450-89 (©Bayerische StaatsBibliothek)
– Le dragon espagnol ou portugais
-- "d'azur à deux dragons d'or affrontés, les cous entrelacés, armés et langués de gueules", Duarte Brandão, Du Cros, Livro do Armeiro-Mor f°86, 1506-1509 (©Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbonne)
-- "d'argent au dragon de sinople vomissant du feu de gueules", Villanova?,
Armorial de los Condes de Argillo f°27r, 1578 (©Biblioteca de Aragon)
-- "d'argent au dragon de sinople", Villanova, Coelho,
Tesouro de Nobreza f°54, 1675 (©Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbonne)
-- "d'azur à deux dragons d'or affrontés, langués de gueules, les cous passés en sautoir", Duarte Brandam, Coelho,
Tesouro de Nobreza f°55, 1675 (©Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Lisbonne)
– Les animaux fantastiques proches du dragon
   amphiptère ~ amphistère (serpent ailé), amphisbène (serpent avec une deuxième tête à l’extrémité de la queue), basilic ou cocatrix (dragon-coq ; peut-être équivalent de coquefabue* en AF), bisse (serpent au corps formant des boucles), guivre ~ vivre (serpent avalant/vomissant un humain), hydre (dragon à sept têtes), opinicus (dragon-griffon spécifique à l'Angleterre)
* Brault mentionne sous “coquefabue” : « Godefroy, ii. 293, cites a heraldic use of the related term coqbasile in the fourteenth-century Arthurian romance Perceforest. » (p. 149).
-- "d'azur à un amphiptère d'or essorant entre deux montagnes d'argent",
Louis de Camoens (1524/5-1580), poète portugais (d'après Boos 612)
-- "d'azur à la bande de gueules accompagnée de deux amphisbènes d'or", Thibault Baillet, Bibliothèque municipale d'Aix-en-Provence, Ms 0648 f°2 "Chroniques-de-Bretagne", v. 1510 ? (Site Enluminures ©IRHT)
-- "d'argent au basilic de sable, crêté et barbé de gueules", Baumburg, ZUR 495 (d'après Boos 616)
-- "d'argent à la bisse d'azur", Anguillara, Padoue (d'après Boos 753)
-- "de gueules à la colonne d'argent parée d'or, entortillée d'une guivre
[bisse si armes parlantes] d'azur engoulant un enfant de sinople", Bichi, Rome (d'après Boos 310)
-- "d'argent à la guivre d'azur, couronnée d'or, engoulant un homme de gueules",
Visconti, duc de Milan, Trivulziana 357, 1 (d'après Boos 611)
-- "d'argent à l'hydre de sinople, l'une des têtes tranchée, pendante et dégouttante de sang",
Belzunce, Navarre, 1920-21 (d'après Boos 615)
-- The Opinicus is allied more nearly to the dragon in the forepart and in the wings; but it has a beaked head and ears, something between the dragon and the griffin (selon Parker, sous Griffin)

• Pour aller plus loin - le dragon à quatre pattes ?
   Dans la tradition occidentale, le dragon a quatre membres : deux pattes et deux ailes. L’héraldique anglaise a introduit un dragon à quatre pattes et deux ailes, forme* qui deviendra celle que la jeune génération actuelle connaît au travers des jeux de rôle, sur les consoles de jeux ou via Internet. En anglais, c’est le dragon à quatre pattes qui a conservé le nom de dragon, alors que celui à deux pattes est connu sous le nom de wyvern, d’étymologie commune avec la “vouivre” française.
   Cette dernière existe en dehors de la langue du blason, créature mi-femme mi-serpente ailée, liée aux légendes du terroir. Elle est appelée Mélusine sur les terres de Lusignan, vouivre**  en Franche-Comté et dans les cantons suisses.
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* Voir à ce sujet l’excellent “pseudo” documentaire "Dragons. Et s’ils avaient vraiment existé…" produit en DVD chez Columbia Tristar en 2006, où l'on voit un paléontologue enquêter sur les dépouilles, ensevelies dans la glace, de dragons… à quatre pattes… et deux ailes.
** On peut noter que "vouivre" endosse ici le rôle de générique face à "Mélusine", nom propre de la fondatrice mythique de la lignée des Lusignan. Mélusine en langue du blason est une figure représentant une sirène se baignant dans une cuve, ce qui rappelle ici une autre facette de la légende. (cf. page sur Wikipedia, pour une fois bien documentée)
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[=> ajout du 01/11/2012]
Il existe un ordre du dragon, Die ritterliche ungarische Gesellschaft vom Drachen (Societas draconis), né en Hongrie, devenu austro-hongrois par la suite, avec le dragon comme symbole des forces du mal contre lesquelles l'ordre doit lutter (texte de présentation sur un site tchèque, pdf en allemand par Klaus H. Feder, accompagné de nombreuses illustrations)

5 commentaires:

  1. Un excellent article. Félicitations!!

    Aussi, j'ai connu un armorial je ne savais pas à ce jour (Tesouro de Nobreza).

    Salutations, Jon

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  2. merci beaucoup c'est ce que je chercher pour un exposer =)

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    1. Soyez gentil(le), pensez à citer vos sources...
      Et mettez tous les atouts de votre côté, en corrigeant votre français.
      Bon exposé.
      Anne BhD

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    2. et on peut ajouter plusieurs familles "françaises" :
      de gueules au dragon monstrueux d'or : sire d'Anthon
      et les sires de Montdragon

      H D anton

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  3. Excellent article, bien documenté. Merci

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