samedi 14 juillet 2012

La notion de "contre-" en langue du blason

L’élément de composition contre- ne peut être présenté sans faire appel aux illustrations qui permettent de mieux appréhender les subtilités de son emploi. La majorité des qualificatifs composés de contre- peut se présenter sous deux formes qui varieront selon les époques : fascé peut donner contre-fascé ou fascé-contre-fascé, cette dernière formule décrivant plus finement certaines compositions : un fascé-contre-fascé est un fascé auquel on a accolé son reflet (comme dans un miroir), avec les couleurs alternées au niveau du trait de partition.
  L'exemple suivant permet de comprendre que la notion de "contre-" était utilisée pour traduire des dessins complexes tout en cherchant à garder une formule concise.
Condet, s. de Morialmé, BEL 40r6 (illustration d'après Boos 19) - ce qui est blasonné actuellement :
"de vair en chevron à deux étais de gueules" [description qui ne donne pas l'information
que les pointes des cloches de vair se touchent et qui risque d'être incomplète pour permettre
de dessiner l'écu sans modèle] - blasonnement dans l'armorial du héraut Orléans, avant 1342 :
""De Moriamés, vairé contre vayré chevronné contre chevronné sur le tout trois chevrons de gl." -
autre illustration dans l'armorial Le Bouvier, v. 1454-1457, avec blasonnement restitué
["vairé en sautoir, à deux chevrons de gueules brochant sur le tout"] -
on rencontre cet écu aussi dans Navarre 1188, Gelre 1016 et Bergshammar 1221

   Pour regrouper les diiférents sens de contre-, je me suis appuyée sur ce qu'en disait le CNRTL.

• contre : "en direction opposée" avec retournement horizontal gauche-droite
"d’or au lion léopardé (ou passant) de gueules, armé d’or, lampassé d’azur, à la bordure de gueules",
Le comte de Soissons, GEL 349 (d'après Boos 430)
"d’azur à deux chats contre-passants d’argent", La Chétardie, Angoumois (d'après Boos 556)
"d’azur à trois fleurs de lis d’or, au bâton (ou cotice) de gueules", Le duc de Bourbon, GEL 313 (d'après Boos 80)
"de gueules à six cotices en barre (ou contre-cotices) d’or, à l’épée d’argent brochant sur le tout",
Fresoo', Sicile (d'après Boos 87)
passant / contre-passants (contremarchans dans LBQ) ;
rampant / contre-rampants (E. de Boos, source non citée) ou adossés ou affrontés ;
saillant / contre-saillants (E. de Boos, source non citée) ou adossés ;
issant / contre-issants ou issants et adossés ;
cotice ou traverse ou bâton ou filet en bande / contre-cotice ou cotice en barre ou contre-filet ou contre-bâton (théorique), ce qui donne aussi coticé / contre-coticé.

• contre : avec effet de miroir, par rapport à l’axe d’une ligne de partition
"d'argent à l'aigle bicéphale becquée et membrée de gueules, à la cotice de gueules brochant",
Bertrand Du Guesclin, BEL 3r12 (d'après Boos 661)
"parti d'argent et de sable, à l'aigle bicéphale de l’un en l’autre (ou contre-changée)" (ENG counterchanged), Deschamps, Cour amoureuse 437 (d'après Boos 330)
"barré d'or et d'azur", Barruel de Saint-Vincent (Vivarais) (d'après Rolland, selon Rietstap)
"barré-contre-barré d'azur et d'argent de quatre pièces", Menge, Westphalie (d'après Rolland, selon Rietstap)
contre-changé (cité par E. de Boos comme un anglicisme, sans citer de source ; cf. anglais counterchanged "de l’un en l’autre") ;
barré / contre-barré ;
contre-trevis = coupé (AF cité par PARK) ;
"[fascé] burelé d’or et de gueules", Edouard Ier, comte de Grandpré (†1395), GEL 323 (d'après Boos 42)
[le fascé prend le nom de burelé quand il comporte plus de huit éléments]
"fascé-contre-fascé (ou contre-fascé) d’azur et d’argent de huit pièces", Strubeneck, Miltenberg 69 (d'après Boos 37)
chevronné d’or et de gueules, Ulrich IV von Hanau, GEL 40 (d'après Boos 93)
"chevronné-contre-chevronné (ou contre-chevronné) de quatre pièces d’argent et de gueules",
Graziani, Udine (d'après Boos 94)
fascé / contre-fascé (fasce / contrefasce ou fasce de l’un en l’autre) ;
chevronné / contre-chevronné ;
burelé / contre-burelé ;
"palé d’argent et d’azur", Pierre de Cousture, REV 646 (d'après Boos 62)
"palé-contre-palé (ou contre-palé) d’or et d’azur", Kuchenheim, WIN 684 (d'après Boos 63)
"[bandé ou] coticé d’or et de sable", Zaffenem, BEL 43v15 (d'après Boos 78)
"bandé-contre-bandé (ou contre-bandé) d’or et d’azur", Randon le Léger,
chev. de la Table Ronde, Bara (d'après Boos 76)
   Quand une figure est composée d'une seule pièce, elle autorise plusieurs descriptions : doit-on dire contre-fasce ou fasce de l’un en l’autre ?
   On peut garder en mémoire, à titre de comparaison, des figures comme celles qui suivent.
"parti d'azur et d'argent à deux chevrons de l’un en l’autre", Westhausen, GEL 53 (d'après Boos 29)
"échiqueté? d'azur et d'argent" [
Von Blau und Silber zweimal geteilt und viermal gespalten],  
Borschnitz ~ Borsnitz ~ Borsnicz, Autriche, SCB 234 (©BSB München)
   La notion du de l'un en l'autre traduit le fait que sur un écu divisé en deux par un trait de partition, une figure change de couleur quand elle traverse le trait de partition, en couleurs inversées.
contre-fasce (ou?) fasce de l’un en l’autre, Winnecker, ETO Autriche f°21 (©BNF)
contre-chevron (ou?) chevron de l’un en l’autre, Peissere, ETO Autriche f°19 (©BNF)
contre-pal (ou?) pal de l’un en l’autre, Hans Ulrich von DettingenRichental Chronik x1b (©BSB München) 
[blasonné par S .Clemmensen : per fess or and sable, a pale counterchanged]
contre-bande (ou?) bande de l’un en l’autre (Per pale argent and azure, a bend downset counterchanged),
Zorke, Cotton MS. Tiberius D, 10, fol. 672. (PARK, sous Dancetté)
• contre : représentation en négatif
"d'hermine plain", Agricor, le Beau Géant, chev. de la Table ronde, Bara (d'après Boos 3)
"de contre-hermine plain", Maublanc, France (d'après Boos 4)
hermine / contre-hermine.

• contre : en opposition (pointe contre pointe...)
"de vair plain", Hugues, dit Gonin, de Vichy, Revel 537 (d'après Boos 10)
"de contre-vair plain", Duplessis-Angers, Maine (d'après Boos 13)
"vairé d’or et d’azur" (Le comte de Guines, BEL 1v3 (d'après Boos 15)
"vairé contre-vairé de sable et d'argent", Vai, Prato (d'après Rolland, selon Rietstap)
vair /contre-vair (vairé / contre-vairé) ;
contre-pointés (chez T. Veyrin-Forrer et E. de Boos) : préférer appointés.

• contre : en position décalée, désordonnée, contraire à l’ordre (les deux derniers exemples n’ont pas de forme simple)
"d’or à la bande bretessée de sable", Belmont, ZUR 54 (d'après Boos 161)
"de gueules à la bande bretessée et contre-bretessée d’argent", Ortenburg, SCB 24 (©BSB München)
[Das Stammwappen zeigt einen schrägrechten silbernen Wechselzinnenbalken auf rotem Grund]
"d’argent à la fasce fleuronnée et contre-fleuronnée de gueules", John Kayville, Jenyns’Ord. 1629 (d'après Boos 182)
"d’azur au chevron potencé et contre-potencé d’or, rempli de sable, accompagné de trois burettes d’or",
Bureau, Bretagne (d'après Boos 222)
bretessé / bretessé et contre-bretessé ;
fleuronné et contre-fleuronné (spécifique au trescheur des armes d'Ecosse, mais on peut le rencontrer bordant une fasce, cf. Kayville) ;
potencé et contre-potencé ou champagné (champagné n’est cité que par E. de Boos (p. 135), sans source. On pourrait éventuellement décrire champagné comme “ayant des motifs rappelant ceux des cotices accompagnant la bande des armes de Champagne”) ;
contrefaites pour des armes fausses ou incorrectes (AF, Brault) ;
contre-appaumée (VEYR et BOOS) : qui montre le dos de la main, contrairement à la position par défaut (ce terme semble théorique car, seul GAJE cite le terme appaumé avec le sens de “montrant la paume” qualifiant des mains senestres dans le blasonnement des armes de Jean de La Champagne, Normandie, WIN451, p. 136, fig. 281).

• contre : sert à renforcer le sens
Des quatre termes qui suivent, seul contremont est encore usité.
contrebas (LBQ) ou contreval (AF) / contremont (dès l’AF) ou amont (AF).

• contre : donne une idée de démultiplication
"écartelé d'or et d'azur", La Rochebriant, Revel 360 (d'après Boos 109)
"…contre-écartelé, d’azur semé de fleurs de lis d’or à la bordure componée d’argent et de gueules, et bandé d’or et d’azur, à la bordure de gueules…", quartiers 2 et 3 qui sont de Bourgogne dans les armes de Jacques de Bourbon (†1468), d’après sa plaque de chevalier de la Toison d’or, à Bruges (d'après Boos 111)
écartelé / contre-écartelé (écartelure / contre-écartelure ~ contrecartelure MEN1).

4 commentaires:

  1. bonjour
    quelque chose m echappe sur le contre-vairé
    je cite "de contre-vair plain", Duplessis-Angers, Maine (d'après Boos 13) moi je vois un champ d azur et des "clochettes" opposées d argent et si je devais reformuler votre dessin je dirais " d azur contre-vairé d argent"
    "vairé contre-vairé de sable et d'argent", Vai, Prato (d'après Rolland, selon Rietstap) moi je vois votre dessin comme d argent contre vairé de sable.
    mais peut etre n ai je rien compris au contre'vairé

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    1. Bonjour,
      Concernant Duplessis-Angers, il faut se rappeler que le "vairé" et le "contre-vairé" ont d'autres couleurs que celles du vair. Le "contre-vair" est obligatoirement d'argent et d'azur.
      Pour Vai, Prato, cela peut se discuter, en se rappelant toutefois que le vair et le vairé sont des combinaisons de deux couleurs et non un champ avec une figure dessus.

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  2. et autre etrangeté
    "vairé d’or et d’azur" (Le comte de Guines, BEL 1v3 (d'après Boos 15) j ai toujours cru que les tires impaires portaient 4 clochettes et les paires 1/2 +3 + 1/2 clochettes.
    Si le nombre de tires peut varier selon les auteurs (4 ou 5) tous dessinent 4 clochettes entieres sur la premiere tire.
    il y un truc qui m echappe

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    1. Pour cette autre "étrangeté", je crains que vous n'ayez lu beaucoup de manuels théoriques datant du XIXe s. Certains étaient corrects et d'autres voulaient tout faire rentrer dans des normes.
      Les hérauts et peintres héraldistes, qui ont réalisé l'armorial Bellenville (1364-1390), ne se préoccupaient pas de nombre, mais de lisibilité et d'esthétique.
      Les théories plaquées dessus, 500 ans plus tard, m'étonneront toujours !

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