jeudi 28 juin 2012

Figures (pièces, meubles) en nombre

La disposition des éléments en nombre est en rapport avec la forme ancienne de l’écu, en triangle. Avec l’évolution de l’écu vers la forme carrée pour aboutir à la forme dite “à la Bara” (avec le bas en forme d'accolades [merci à Rincevent]), les éléments d’un écu ancien sont devenus difficiles à répartir de façon équilibrée.
1292-95 - Le vidame de Chartres, LBR 392 (©Archives Nationales)
1370-86 - Die Here v. Vydame v. Tsaerters, GEL 450, f° 50v
(merci à YdT pour la numérisation et la colorisation de l'écu)
1436-1440 - peut-être Guillaume, vidame de Chartres, ETO France 54v (©BNF)
1579 - Le vidame de Chartres, Bara (d'après Boos 689)
   Dans l’exemple ci-dessus, la même figure est représentée dans LBR avec neuf merlettes, dans GEL neuf encore, étranglées par le changement de forme de l’écu et que l'on peut aussi blasonner d’or à deux fasces de sable à l’orle de neuf merlettes du même, qui passent ensuite dans ETO à sept pour garder une composition équilibrée. Bara, avec sa forme d’écu parfaitement carré, restitue sans problème les neuf merlettes.

Expression et disposition des éléments en nombre
  Nous trouvons divers termes ou expressions : un, deux, deux et un (position ordinaire) ; mal ordonné (un et deux) ; double ; semé (AF poudré) ou sans nombre.
   Des adjectifs spécifiques ont été créés, correspondant à la notion de “semé” : besanté (besants), billeté (billettes), châtelé (châteaux), croiseté (croix), croissanté (croissants), étincelé (étincelles), étoilé (étoiles), fermaillé (fermaux), fleurdelisé (fleurs de lis), fretté (frettes), goutté (gouttes), herminé ou moucheté d’hermines (mouchetures d'hermine), paillé (semé d’anneaux contenant des aigles et des lions), tourtelé (tourteaux), ou encore décrivant le motif de fond : palissé (lignes en croix) papelonné (ailes de papillons) plumeté (plumes), vairé ; anglé ou découpé, pour la famille d’Anglure, avec des éléments ressemblant à un croissant ou à un angle ou encore à une découpe.
   Certains dérivés n’ont jamais vu le jour : larme a donné semé de larmes que l’on dit aussi goutté (il n’existe pas de *larmé).
   D’autres sont polysémiques : fleurdelisé signife “semé de fleurs de lis” mais aussi “dont l’extrémité est en forme de fleur de lis”. La polysémie existe également pour losangé, fuselé, tréflé. Pour éviter une mauvaise lecture, les auteurs ont donné la préférence à la locution semé de…
   Double sert dans un certain nombre de mots composés comme double bordure, double queue, double trescheur.
   Les écussons, miniatures de l’écu, sont représentés avec la même forme que l’écu dont ils occupent généralement le centre.

Disposition et changement de nom des pièces en nombre
   La recherche a été effectuée sur un seul armorial, l'armorial Le Breton (LBR) et majoritairement sur la partie ancienne (partie centrale) des écus 156-715 qui correspondent à une datation de 1292-1294. Il a été difficile néanmoins de se limiter à cette seule partie de l'armorial et certaines illustrations proviennent de la partie datée du début du XVe siècle. Les droits d'auteur des images sont tous à attribuer aux Archives Nationales (ici).
   Plusieurs constantes apparaissent au travers des figures concernant les figures en nombre.
   Les figures en nombre (qui peuvent être les mêmes que les éléments du semé), se combinent avec d’autres figures, en nombre régulier selon la forme de l’écu en triangle et selon la forme de la figure principale. Il s’agit des angemmes, annelets, besants/tourteaux, billettes, coquilles, croisettes, écussons, étoiles, fleurs de lis, losanges, macles, merlettes, quintefeuilles et tour(n)elles.
   On verra que la manière dont s’ordonnent les figures dans l’écu respecte des règles d’équilibre (symétrie) et de remplissage. On constate que dans les représentations graphiques, le Moyen Âge évite de laisser des emplacements vides, en utilisant, par exemple, le diapré.

• L’angemme, la croisette, le croissant, l’écusson, l’étoile, la fleur de lis et la quintefeuille peuvent apparaître SEULES, comme pièce principale. La croisette retrouve alors le nom de croix, l’étoile sera souvent à huit rais (au lieu de cinq ou six). L’étoile peut même avoir des rais plus longs vers le bas, sans que cela nécessite d’être blasonné.
quintefeuille, Guillaume de Bréauté, LBR 153
croix, Pierre de Blémur, LBR 208
fleur de lis, Jean II de Tilly, LBR 166
croissant, Beaudegnies, LBR 408
   Par contre, toutes ces figures, utilisées en tant que brisure, chargeant un quartier ou le cœur d’une croix, seront diminuées en taille au point d'être nommées par leur diminutif, comme lionceau au lieu de lion.

• On les trouve au nombre de DEUX seulement si elles ont une forme allongée (lion passant, léopard, [fer de] râteau…). Il s’agit de celles qui pourraient difficilement apparaître seules, car n’occupant pas assez de place en hauteur. En outre, celle du dessus est représentée un peu plus grande (plus longue) pour mieux remplir la largeur du haut de l’écu. Deux est également le nombre par défaut des poissons allongés représentés dressés, comme les bars. Ces derniers, l’un à gauche, l’autre à droite, sont en position de parfaite symétrie.
léopards, Le duc de Normandie, LBR 136
râteaux, Hughes IV de Rethel, LBR 325
bars, Raoul II de Clermont-Nesles, LBR 336
lions, Jean Ier de Bazoches, vidame de Châlons, LBR 390
   Deux est aussi le nombre de lions/léopards quand ils occupent l’emplacement du chef (ils sont alors soit affrontés, soit adossés).

• Au nombre de TROIS, les figures remplissent tout l’écu ou sont abaissées sous un chef (en position deux et un, ce qu’il n’est pas utile de blasonner). Ce sont des figures de taille suffisante pour porter leur nom et non un diminutif : croix et non croisette, lion et non lionceau, aigle et non aiglette… Une exception concerne l'annelet, l'anneau étant rarement seul.
annelets, Sainte-Beuve, LBR 142
lions, Jean de Chanle, LBR 343
coquilles, Pierre V Hideux de Chambly, LBR 245
tourteaux, Lesglentier, LBR 272
   On les rencontre aussi au nombre de trois, quand elles chargent le chef, la fasce, la bande. Elles accompagnent également un chevron (combinaison qui deviendra très fréquente ultérieurement). De forme allongée, elles peuvent êtres superposées horizontalement sous un chef (broyes).
annelets, Hugues II de Bouville, LBR 244
merlettes, Othe II de Toucy, LBR 206
coquilles, (Mathieu?) de Roye, LBR 347
broyes, Pierre de Joinville, LBR 328
• Quand elles remplissent les espaces laissés libres par la croix ou le sautoir, elles sont au nombre de QUATRE. Les variantes, qui peuvent servir de brisures, seront des multiples de quatre : douze, seize et même vingt (ce qui les rapproche du semé).
aiglettes, Mahieu III de Marly, LBR 205
merlettes, Jean de Mouy, LBR 270
lionceaux, Bertrand de Beauveau, LBR 704 (l'argent a été repeint ultérieurement)
coquilles, Enguerran de Montigny, LBR 174 [N.B. cette écu devrait illustrer le "en CINQ" ci-dessous, car une cinquième coquille, imperceptible, est pourtant là. Merci à J.L. de me l'avoir signalé. Voir commentaire en fin de billet]
   En figures principales, elles occupent la même position, aux quatre “angles”, laissant la place éventuellement à une petite figure en cœur. On les trouve aussi au nombre de quatre, chargeant un quartier, chacune dans un coin.

• Au nombre de CINQ, elles chargent la croix ou le sautoir. Si elles constituent la figure principale, elles remplissent tout l’écu, dans la position par défaut de deux, deux et un.
coquilles, Jean Ier de Raineval, LBR 263
besants, Dun, LBR 308
tour(n)elles, Jean de La Tournelle, LBR 258
• Si elles sont au nombre de SIX, elles accompagnent des figures comme le croissant (en position trois, deux et un) ou la bande (groupées par trois).
merlettes, Tremblay, LBR 207
merlettes, Non ident., LBR 334

• Au nombre de SEPT, elles servent de figure principale avec la position par défaut de trois, trois et un. Elles peuvent être placées sous un chef ou accompagner une fasce. Dans cette dernière position, elle seront plutôt en orle.
annelets, non ident., LBR 329 [le canton, brochant, masque un annelet]
besants, Adam IV de Melun, LBR 197
merlettes, Jean de L’Isle-Adam, LBR 189

• Au nombre de HUIT, elles entourent une pièce principale en orle (écusson ou quintefeuille) ou sont réparties harmonieusement pour remplir l'écu autour du croissant.
coquilles, Soisy [aujourd’hui Choisy], LBR 292
merlettes, Raoul de Sores dit d’Estrées Saint-Denis, LBR 262
billettes, Beaudegnies, LBR 408

• Au nombre de NEUF, elles apparaissent rarement seules et sont alors en position quatre, deux, deux et un, ce qui est la même répartition si elles accompagnent deux fasces. Si elles entourent une seule fasce, leur répartition se transforme : trois, trois, deux et un.
merlettes, Sommereux, LBR 288
merlettes, Foulques IV Paynel, LBR 168
macles, Son, LBR 350
   Les deux premiers ensembles prennent la forme de l’orle, alors que le troisième est une tentative de remplir toute la surface de l’écu.

• Elles peuvent être au nombre de DIX et remplir tout l’écu : elles ont alors par défaut la position de quatre, trois, deux et un. Elles restent au nombre de dix même si elles accompagnent un écusson et sont là encore disposées en orle.
billettes, Jean de Saint-Martin, LBR 157
billettes, non ident., LBR 413
angemmes, Tancarville, LBR 138
fers à cheval, Ferrières Saint-Hilaire, LBR 144
• Elles peuvent être encore dénombrées lorsqu’elles accompagnent la croix (en multiples de quatre, parfois cinq en chef et seulement quatre en pointe, pour tenir compte du rétrécissement de l’écu vers le bas). Plus nombreuses, on ne les compte plus : on les nomme sans nombre ou semé de
croisettes recroisetées, Jean II de Blainville, dit Mouton, LBR 165
semé de fleurs de lis, Charles de Valois, LBR 178
billeté, Le comte du Perche, LBR 137
semé de fleurs de lis de l’un en l’autre, Guillaume de Mortemer, LBR 159
   Quand elles longent l’intérieur de l’écu, en forme d’orle, elles peuvent varier en nombre, selon qu’elles sont seules ou qu’elles entourent une autre figure (plusieurs exemples ont déjà été présentés ci-dessus), cette figure touchant ou non les côtés : douze, remplissant en arrondi les quatre angles d’une croix ; dix ou neuf, quand elles sont seules ou avec un écusson ; neuf, seules ou combinées avec deux fasces ; huit, autour d’un écusson ou d’une quintefeuille ; sept, avec une seule fasce ; six, autour d’une bande ; six encore pour un orle de lionceaux (figures remplissant trop d’espace pour être en plus grand nombre).

1 commentaire:

  1. L'exemple que vous prenez (figures en nombre), à propos de coquilles,en citant le blason de Enguerran de Montigny (LBR 174) avec quatre coquilles au franc-quartier n'est ps bon. Le franc-quartier est de cinq coquilles. Un repeint de la coquille centrale a été effacé ou est parti. On en devine la présence à la loupe (sur l'ouvrage édité en 2005. L'armorial Wijnbergen (antérieur au LBR) le décrit avec cinq coquilles en sautoir.
    Bien cordialement et merci pour votre blog.
    JL. (descendant de Montigny)

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