vendredi 31 août 2012

La seigneurie de Til-Châtel ou Trichâtel

Le nom de la seigneurie de Til-Châtel a existé sous différentes graphies selon les époques : Tilicastro à l’origine, puis Tylicastrum, Tilchastel ou Thilchastel, Trichastel ou Triechastel, Trichâteau ou Tréchâteau ou Trichâtel, Mont-sur-Tille pendant la période révolutionnaire, et enfin Til-Châtel depuis 1860.
   On trouve encore une autre variante : Johanz, sires de Tile Chastial pour Jean de Til-Châtel dans un acte daté de septembre 1265 (voir ci-après).
"d'or à la clef de gueules",
Guy III, sgr de Til-Châtel (†1299), LBR 445 (©AN)
N.B. La famille de Til-Châtel est celle pour laquelle j'ai eu le plus de difficultés à trouver des illustrations contemporaines car le premier sceau connu date de 1248 et le dernier porteur du nom disparut en 1299.
• Histoire de la seigneurie de Til-Châtel (Bourgogne)
   Le village, situé sur la voie Agrippa entre Langres (Andemantuno) et Châlon (Cabillione) est mentionné en 230 sous le nom de Filena sur la rivière Tille.
   Il prend le nom de Tilae Castrum (castrum ad tillam) par la suite avant d’être détruit au cours d’une invasion venue du Nord, après l’an 400.
   Après sa reconstruction, le village de Til-Châtel se retrouve sous la dépendance de l’évêque de Langres. À partir de l’an 801, ce dernier concède l’église de Tilicastro et ses revenus aux Augustins de Saint-Etienne de Dijon.
   Les seigneurs du lieu tirent leur origine d’Audon Ier de Til-Châtel, fils de Garnier, comte de Troyes dont on trouve la signature dans un acte de Richard, duc de Bourgogne, daté de 918. Ils rendent hommage aux ducs de Bourgogne.
   Les membres de la famille Til-Châtel se succédent jusqu’en 1299, date à laquelle le nom se fond dans la famille de Rougemont au travers de Jeanne de Til-Châtel, fille de Guy III de Til-Châtel. À la fin du XVe siècle, la dernière des Rougemont, faute de descendance, cède la seigneurie à Antoine de Baissey, qui rend immédiatement hommage à l’évêque de Langres. En 1618, la dernière des Baissey transmet la terre de Til-Châtel à son demi-frère Erard du Châtelet qui en fait un marquisat. Mise en décret [vendue pour rembourser des dettes], elle est acquise en 1663 par le baron du Housset. Elle est à nouveau mise en décret et est alors rachetée par la veuve de ce dernier. Celle-ci, Marie d’Aguesseau en fait cadeau en 1703 à sa nièce Catherine d’Aguesseau, mariée à Charles-Marie de Saulx, comte de Tavannes. La seigneurie reste la possession de cette famille jusqu’à la Révolution.
   Une hypothèse sur l'origine de la clef des Til-Châtel pourrait être qu'elles aient été héritées des Clefmont au XIIe siècle, mais en inversant les couleurs. (cf. P. Palasi, Armorial de la Haute-Marne, notice 267 sur la famille de Clefmont, éteinte dans la famille de Choiseul en 1370). Cela soulève le problème des couleurs de l'écu des Clefmont, mais ceci est une autre question.

• armoiries en relation avec les porteurs du nom, parfois identifiés
-- 1248 -- [d'or à la clef de gueules] : sceau de Hugues de Til-Châtel, sgr de Conflans (~1220-1250), mort à la 7e croisade (1248-1254)
   Une illustration correspondant au sceau est proposée sur le site Early Blazon.
   Extrait de la page d'A. Baudin sur Jean de Joinville (1225-1317) :
"Louis IX ayant fait le voeu de se croiser s'il guérissait d'une grave maladie (1244), le sénéchal de Champagne [Jean de Joinville] annonça à Pâques 1248 sa volonté de suivre le roi de France, avec neuf de ses vassaux à savoir Hugues de Landricourt et Hugues de Trichâtel, seigneur de Conflans, tous deux chevaliers-bannerets, Gautier d'Ecurey, Gautier de Curel, Erard de Sivry-sur-Ante, Raoul de Vanault-le-Châtel, Frédéric de Louppy-le-Château, Renaud de Menoncourt et Hugues d'Ecot-la-Combe."
-- 1265 -- Johanz, sires de Tile Chastial [pas de représentation de sceau] : Jean de Til-Châtel.
Cf. Acte sous sceau seigneurial (Bourgogne) daté de septembre 1265 (à rapprocher du sceau cité par M. Prinet et daté de 1266 ? ; cf. plus loin, dans les commentaires sous la date de 1297).

-- 1265-1270 -- [d'or au chef de gueules], Armorial Wijnbergen 860 : sans nom
-- 1265-1270 -- [d'or à la clef de gueules en pal], Armorial Wijnbergen 1087 : sans nom
-- 1265-1270 -- [d'or à la clef de sable en pal], Armorial Wijnbergen 1088 : sans nom
Les illustrations avaient été dessinées par Brian Timms, mais entre temps son site a été vandalisé.

-- 1274 -- [écu à la clef], pierre tombale de Jean, seigneur de Tilchâtel
Jean, seigneur de Tilchâtel (église de Tilchâtel) (Petit, 1898)
Cf. planche 21 dans l'ouvrage d'E. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne..., t. 6.

-- 1292-1295 -- le s. de tchatel [d’or à la clef de gueules], Armorial Le Breton 445
Guy III, sgr de Til-Châtel (†1299), LBR 445 (©AN)
   Notice d'E. de Boos :
"445 Le sire de Trichatel
d'or à la clef de gueules.
Guy III († 1299), seigneur de Til-Châtel, gonfalonier du comté de Bourgogne. Fils de Jean, seigneur de Til-Châtel († 1275), gardien de Champagne et de Brie, maréchal et gonfalonier du comté de Bourgogne, et de sa seconde femme, Marie de Joinville, dame de Marnay († 1263), il épousa d'abord en 1263, Mahaut de Courtenany (†1284), puis, en 1285, Isabelle de Rochefort(-sur-Brevon) [† apr. 1309], fille de Gaucher de Rochefort, seigneur du Puiset en Beauce, vicomte de Chartres, et de Marguerite de Plancy. En 1306, celle-ci se remaria avec Humbert de Rougemont.
Wijnbergen 1087 ; Chifflet-Prinet 83
Europäische Stammtafeln, XV, 184-185"
-- 1297 -- Mesire de Triechastel porte les armes d’or [au chef / a la clef] de gheules, Armorial Chifflet-Prinet 93 ou 94
   Ce blasonnement pose problème car, selon les éditions du manuscrit, on rencontre les variantes "au chef" ou "a la clef".
   On trouve dans l'édition de l'armorial par M. Prinet (p. 35 [=31], en ligne) :
93. Mesire de Triechastel porte les armes d'or au chef de gheules(1).
(1) Gui, seigneur de Thil-Châtel (Côte-d'Or, arr. de Dijon, cant. d'Is-sur-Tille) en 1275, 1276, 1280, 1291, 1293, gonfalonier du comté de Bourgogne (Arch. du Doubs, B 53, 69 ; Arch. de la Côte-d'Or, B 1336 ; Bibl. nat., ms. français 31969, fol. 65 v°, 66 ; Gollut, Mémoires historiques, édit. Duvernoy, col. 1744). Sa veuve, Isabeau de Rochefort, était remariée, en 1311, à Humbert, seigneur de Rougemont ; l'ainée de ses filles, Isabeau de Thil-Châtel, épousa Thibaud de Rougemont, fils d'Humbert (Arch. de la Côte-d'Or, B 10492, 10493 ; Peincedé, t. XVII, p. 168). Par ce mariage, la terre de Thil-Châtel et la charge héréditaire de gonfalonier du comté de Bourgogne passèrent à la maison de Rougemont.
   Le sceau de Gui de Thil-Châtel (1276) est armorié d'un écu chargé d'une clef et non d'un chef (Sceaux de la Bourgogne, n° 448), comme les sceaux de Jean de Thil-Châtel, en 1266 (Archives du Doubs, B 53) et d'Isabeau de Thil-Châtel, dame de Grancey, en 1282 (Sceaux de la Bourgogne, n° 489). La pierre tombale de Jean, sire de Thil-Châtel, mort en 1275, fut également armoriée d'un écu à la clef (Ernest Petit, Histoire des ducs de Bourgogne, t. VI, fig. 21).
   Dans l'édition proposée par G.J. Brault, ce dernier tient compte de certaines des notes de P. Adam-Even au sujet de l'armorial :
94. Mesire de Triechastel porte les armes d'or a la clef (21) de gheules.
(21) au chef.
Notes [sur l'édition de Prinet :]
CP 94 -- for the emendation au chef ] a la clef, see Prinet, p. 31, n. 1.
   S. Clemmensen suppose une erreur de recopie de la part de Max Prinet (notice 114 : "Prinet misread the legend as 'chef' rather than 'clef' or key." ; cf. l'édition savante en pdf).
   Jules Chifflet ayant le premier recopié l'original, présumé, écrit en picard et datant du XIIIe s., "en prenant pas mal de libertés", c'est peut-être plutôt lui qu'il aurait fallu suspecter de mauvaise recopie.

-- 1454-1457 -- le sr de Trichatel [écu vide], Armorial Le Bouvier 700.
Notice d'E. de Boos :
"700. le sr d Trichatel
vide
Thil-Châtel : d'or à la clef de gueules ; maison éteinte à la fin du XIIIe siècle dans celle de Rougemont (J.-B. de Vraivre, "Sept dalles tumulaires de la maison de Til-Châtel", dans Cahiers d'héraldique n° IV, p. 137-146 ; Prinet XXIV)."
-- 1560 -- Tricastel, porte d’or à une Clef de gueules, dans Palliot p. 175.
Tricastel (Palliot, p. 176)

-- 1770 -- Tricastel porte d’or à la clef en pal de gueules, au lieu de gueules à la clef d'argent, dans Ménestrier p. 216.
Tricastel (Ménestrier, planche XXXI, fig. 1)
N.B. L'illustration est erronée, ce que dit le texte mais de manière peu explicite.

-- 1884 -- Trichâtel - Ile-de-France, Picardie - D’or à une clé de gueules posée en pal, dans Rietstap.
Til-Châtel (Rolland d'après Rietstap)

• Pour aller plus loin - les variantes dans le nom de famille et dans la représentation de l'écu
Si la variation graphique "castel/chastel/châtel/château" est relativement bien connue en français, la métathèse l'est moins (interversion de voyelles et de consonnes à l'intérieur d'un mot). Elle est pourtant bien reconnaissable dans la paire Til-Chastel / Tri-Chastel. Si l'on sait que les consonnes "l" et "r" sont deux réalisations proches au niveau phonétique et que la métathèse est une spécificité du parler picard, on peut se demander si les variantes "Tri-..." ne seraient pas spécifiques de l'époque où les seigneurs de Til-Châtel étaient établis en Picardie (cf. la référence de Rietstap)
   Au niveau de la représentation des armoiries, la confusion entre "chef" et "clef" a été très ponctuelle et sans conséquence par la suite.

• Bibliographie spécifique
-- BAUDIN (Arnaud), Jean de Joinville (1225-1317), page internet du site Le comté de Champagne et de Brie au Moyen Âge.
-- BOOS (Emmanuel de, ed.), 1995, Armorial de Gilles le Bouvier, héraut Berry [d'après le manuscrit conservé à la BNF (ms fr 4985)], Paris : Le Léopard d'or, 277 p.
-- BOOS (Emmanuel de) et alii (eds), L'armorial Le Breton, Paris : Somogy, 247 p. (consultable en ligne sur le site des Archives nationales)
-- BRAULT (Gerard J.), 1973, Eight Thirteenth-Century Rolls of Arms in French and Anglo-Norman Blazon, University Park & London : The Pennsylvania State University Press, 148 p. [comprend l'armorial Chifflet-Prinet]
-- GRILLON (Guillaume), 2011, L’ultime message : étude des monuments fun´eraires de la Bourgogne ducale XIIe-XVIe siècles, université de Bourgogne, 2011. [thèse non consultée, mise en ligne en juillet 2012, ici]
-- MICHEL (Francisque) (ed.), 1859, Jean, sire de Joinville ou Histoire et chronique du tres-chretien roi Saint Louis, Paris : Firmint-Didot. (p. IX-X consultables en ligne)
-- PETIT (Ernest), 1898, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, avec des documents inédits et des pièces justificatives, Dijon : Impr. Darantière, t. VI (consultable sur Gallica).
-- PRINET (Max) (ed.), 1920, Armorial de France composé à la fin du XIIIe siècle ou au commencement du XIV, Moyen Âge, 2e série, t. XXII (janvier-avril 1920), p. 5-58. (en ligne)
-- Présentation de Til-Châtel, sur le site de la mairie de Til-Châtel (en ligne)
-- SCHWENNICKE (Detlev) (ed. de la nouvelle série), Europäische Stammtafeln, Bd. 15 "La Bourgogne au Moyen Âge", Tafeln 184-185 [Sire de Tilchâtel] (liste des tables généalogiques ici, notes critiques ici)
-- SIMONNET (Jules), 1875, Essai sur l'histoire de la généalogie des sires de Joinville (1008-1386) accompagné de chartes..., Langres : F. Dangien. Mention de Jean de Thil-Chastel, p. 135-136.
-- VAIVRE (J.-B. de), Sept dalles tumulaires de la maison de Til-Châtel, Cahiers d'héraldique IV: 137-146. [article non consulté, mais cité dans le billet. Merci au lecteur anonyme qui m'a "aimablement" fait remarquer que j'avais oublié de mentionner cet article en bibliographie].

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