samedi 4 août 2012

"plain" et "plein" en langue du blason

Plain et plein sont deux déterminants qualifiant l’écu.
   Plain (< lat. planus "plan") signifie que l’écu est d’une couleur unie, sans aucune figure.
   Plein (< lat. plenus "plein") indique que l’écu correspond aux armoiries d’un “chef d’armes”, c’est-à-dire l’aîné de la branche aînée et que ces armes ne comprennent aucune brisure, aucune marque de cadet (Cf. le billet sur Les brisures).

   Ces deux qualifiants ne sont pas au même niveau d'utilisation dans la langue du blason : on utilise plain lorsqu'on décrit un écu, alors que plein n'est mentionné que dans les commentaires généalogiques concernant le patronyme identifiant l'écu.
[FRA plain ; ENG plain ; DEU ledig ; ESP lleno ; ITA pieno]
[FRA plein ; ENG full]
armes plaines, sans figure, "de gueules plain",
Arnaud-Amanieu, sire d’Albret, d’après son sceau de 1370 (d'après Boos 1)
armes avec figure, "de gueules à l’aigle d’azur, becquée et membrée d’or", armes Buffevent,
pierre sculptée provenant probablement du château de la Cour-en-Chapeau, XVIe s. (d'après Boos 654)
armes pleines, sans brisure, "de gueules à trois coquilles d’or", Pierre V Hideux, s. de Chambly, LBR 245 (©AN)
armes brisées (avec brisure), "de gueules à trois coquilles d’or, au lambel de sable",
Pierre VI Hideux, s. de Chambly, fils aîné de Pierre V, LBR 246 (©AN)

• Définition héraldique : problèmes de graphie
   plain ou pur ou simple ou vrai* en AF (Brault), puis plain à partir de FURE, avec variante graphique plein chez GRAN, BOUT et STAL, BOUT ajoutant pleinement et purement.
   *Dans des locutions comme : armes plaines, armes pures sans nule autre desconoissance, armes simples, de plain, d’un seul taint, plaines armes, sans autre conoissance, sans autre taint, sans conoissance nule, tout, tout d’une couleur, tout d’un taint, tout pur.
   [plein] plain ou pur en AF (Brault), entier dans BIG (1254), plein à partir de VEYR.
   Le sens n’était pas très différencié à la naissance de la langue du blason : on utilisait plain indifféremment pour les deux notions. La distinction de sens ne s’est opérée que plus tard, sans doute au XVIIe siècle.
   Le TLFi n’aide pas à clarifier la différence de sens entre plain et plein : il fournit les mêmes exemples héraldiques sous plain et sous plein.
   La conclusion que l’on peut en tirer, c’est que la graphie des deux termes pouvait comprendre un "a" ou un "e" en AF, ce qui a abouti à des graphies qui ne sont pas dans leur groupe étymologique, car le choix orthographique les concernant a été effectué avant les progrès de l’étymologie.

• Étymologie
plein : v. 1050 ; du lat. plenus "plein, complet, entier, abondant en".
plain : v. 1110 ; du lat. planus "plan, plat, uni, égal ; sans aspérité".
plein (CNRTL)
A. Adj. v. 1050 fig. "dominé par, empli du sentiment, de l’idée de" ;
B. Prép. inv. déb. XIIe s. "autant que ce que désigne le subst. peut en contenir ou en offrir" ;
C. Loc. adv. déb. XIIe s. a plein "complètement, entièrement" ;
D. Adv. v. 1268 tout plain de "beaucoup de" ;
E. Subst. 1174-76 "la totalité (de quelque chose)" ;
F. Adj. 1. 1350 draps pleins (p. oppos. à rayés) ; v. 1465 velours plein ; 2. v. 1280 [hérald.] armes plaines (Girard d’Amiens, Escanor, 3761 ds T.-L., t.7, col. 1026) ; 1606 [hérald.] Pleines Armes (Nicot).
••• Du lat. plenus "plein, complet, entier, abondant en". La collision homon. avec les formes issues du lat. planus est à l’orig. des empl. notés en F et qui proviennent de ce dernier étymon. Le rattachement à l’un ou à l’autre étymon est parfois moins sûr, d’autant que l’étymol. seconde a pu jouer ; cf. p.ex. le sens actuel de pleine terre qui désignait un terrain découvert en a.fr. d’apr. planus "plat, uni, net" et plein subst. "partie pleine d’un mur" sous l’étymon planus qui semble plutôt correspondre au sens noté ici en E alors qu’on trouve en a.fr. plain "partie plane, plate, d’un mur" ou encore l’expr. de plein fouetplein, avec le sens de "à l’horizontale" peut être rattaché à planus comme dans l’expr. de plein vol en a.fr. ainsi que le terme de mar. rattaché à l’a.fr. plain "rivage plat". •••
plain (CNRTL)
1. Déb. XIIe s. a plain "sans obstacles" ; 2. v. 1155 "qui présente une surface plane, unie" ; 3. v. 1280 hérald. (G. d’Amiens, Escanor, 3761 ds T.-L.) ; 4. 1580 au plain "à marée haute".
••• Du lat. planus "plan, plat, uni, égal ; sans aspérité". •••

• Pour aller plus loin - exemples d'armes plaines
   Les armes plaines sont rares, même à la naissance de l’héraldique. La raison est en simple : comment différencier un écu vide (ou table d’attente) d’un écu plain si le support ne comporte ni couleur, ni code de couleur, comme cela peut être le cas sur du métal, du bois ou de la pierre.
"de gueules plain", Arnaud-Amanieu, sire d’Albret,
d’après son sceau de 1370 (d'après Boos 1)
   L’exemple le plus connu en France est celui de la famille d’Albret (cf. illustrations ci-dessus et ci-dessous). Ils ont été autorisés à écarteler leurs armes avec celles de France, ce qui leur a permis d’être identifiés plus aisément.
"de gueules plain", Arnaud-Amanieu, sire d’Albret,
d’après son sceau de 1370 (d'après Boos 1)
"écartelé : aux 1 et 4, d'azur à trois fleurs de lis d'or (France moderne) ;
aux 2 et 3, de gueules plain (Albret ancien)", Albret, ETO (©BNF)
   De nombreux auteurs ont cherché des exemples d’armes plaines et ont réussi à en rassembler quelques-unes, comme l'a fait Bouton, p. 3 et ss :
   – or : Majorga (Italie), Nemesès (Espagne), Bordeaux Puy-Paulin (dans écartelé), Bandinelli ancien (Italie) ;
   – argent : Czerwiana (Pologne) ;
   – gueules : Narbonne ancien, Rubei (Toscane), Albret ancien, Du Vivier de Saurraute, Lansac, Lissac (Languedoc) ;
   – azur : aucun ;
   – sable : Gournay ancien, Desgabets-Dombasle (Lorraine, dans d’Hozier) ;
   – sinople : aucun (sauf dans armes imaginaires comme celles de Méliadus, chevalier de la Table Ronde) ;
   – pourpre : aucun.

   Les fourrures (hermine et vair) comportent un motif spécifique et deux couleurs, ce qui permet de les identifier aisément, qu'elles soient représentées avec ou sans couleurs. Il existe donc des hermines plains (Bretagne) et des vairs plains.
"d’hermine plain", Le duc de Bretagne, Gorrevod 66 (d'après Boos 2)
"d’hermine à l’écusson de gueules", Espineuse, ETO Artois f°77 (©BNF)
"de vair plain", Hugues, dit Gonin, de Vichy, REV 537 (d'après Boos 10)
"de vair à deux fasces de gueules chargées chacune d’une burelle d’or",
Pierre de Pennevaire, Cour amoureuse 561 (d'après Boos 41)
N.B. Les fourrures sont constituées de deux couleurs, mais considérées en héraldique comme des champs factices, ou faux champ uni (voir VEYR), ce qui leur permet alors d'être qualifiiés de plain.

2 commentaires:

  1. Bonjour Anne
    excellent article, je n'avais jamais imaginé la nuance sémantique des deux mots "plain" et "plein", que beaucoup, même des héraldistes chevronnés ne semblent pas différencier, je ne l'ai pas vu dans leurs lexiques ( sauf celui de Claude Wenzler)! Une vraie révélation (pour moi ) .
    Pour les blasons "d'azur plain" , j'en ai trouvés 2 ou 3 en Lorraine : de la Barge (Rieststap)
    et 1 ou 2 autres sur l'AGF d'Hozier, voir ma page :
    http://herald-dick-magazine.blogspot.fr/2011/10/les-fondamentaux-01-six-couleurs-azur.html

    pour le sinople plain , il y avait les anciennes armoiries de la Libye de Khadafi !!
    mais elles ne sont plus politiquement correctes désormais ! ☺


    amitiés

    HD

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  2. Bonjour !
    Moi aussi je découvre totalement cette différence que je pensais due à des étourderies ou à des erreurs de traduction. Merci beaucoup pour la qualité de ces articles !

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