mardi 20 novembre 2012

L'armorial du "Cuer d'amours espris" (1457)

René d'Anjou (1409-1480), surnommé "le Bon Roi René", fut un roi sans royaume. Prince lettré, protecteur des arts, il était poète et auteur à ses heures. Il était plus à l'aise dans l'administration de ses domaines (Anjou, Lorraine et Provence) que dans la diplomatie ou l'art de la guerre. Attaché aux valeurs du passé, il aurait sans doute préféré naître un siècle plus tôt. Fin connaisseur de l'héraldique, il écrivit le fameux Livre des tournois ("Traicitié de la forme et devis comme on fait les tournoys"), ouvrage de référence encore aujourd'hui (Ms fr  2695, de la bibliothèque nationale de France).
     Le "Livre du cuer d'amours espris" fut écrit en 1457. La BNF à Paris en possède une copie (Ms fr 24399). Il en existe une autre, illustrée de façon plus prestigieuse mais dont le texte est moins fidèle, à la National-Bibliothek de Vienne en Autriche (cod. Vindobonensis 2597). Les deux copies datent des années 1460.
     Florence Bouchet (2003) présente ainsi cet ouvrage : "C'est l'œuvre d'un homme vieillissant et le reflet d'un âge finissant, dont le monde imaginaire a lui aussi vieilli. Une œuvre désenchantée, mais dont la mélancolie nous enchante."
"L'armorial", Ms fr 24399, f°91 (©BNF)
     Les folios 68 à 91 du Ms fr 24399 de la BNF (Paris) réunissent un court armorial de 29 personnages (16 héros antiques, légendaires ou imaginaires, et 13 personnages contemporains de l'auteur). F. Bouchet précise : "On verra ainsi René [...] installer au porche du cimetière de l'hôpital d'Amour son blason et ceux de plusieurs personnalités liées à lui familialement ou politiquement, à côté de ceux de Lancelot, Tristan et bien d'autres." (2003:12). Le manucrit de Vienne donne des variantes que F. Bouchet a utilisées lorsqu'elles permettaient de mieux comprendre le texte.
     Il est sûr que parmi tous les personnages présentés ci-dessous, certains ont vécu ou été imaginés bien avant la naissance des armoiries. À l'époque, il était normal de les ajouter dans un armorial, en leur "inventant" des armes, en rapport avec les emblèmes qui leur étaient traditionnellement rattachés ou encore sous forme d'armes parlantes ou allusives.
N.B. Les écus sont présentés avec des tailles inégales pour respecter les différentes tailles que l'on peut observer dans la miniature du folio 91 dont ils sont extraits. Les commentaires ajoutés par moi sont entre crochets ([ ]).

• Les quatre Romains
1. Jules César (101-44 av. JC)
     …Cesar … lequel blazon estoit d'or a une aigle de sable o deux testes, et le chief y estoit de gueulles a quatre lectres d'or entre quatre points, c'est assavoir S.P.Q.R., f° 68
     [Le chef et les lettres (SPQR, Senatus PopulusQue Romanus "le sénat et le peuple romain") ne sont pas représentés dans l'illustration]
     1'. Jules César, LBR 38 (©AN), l'un des trois preux païens parmi les neuf preux, "d'or à l'aigle bicéphale de sable, becquée, membrée et couronnée de gueules"

2. Octave, César Auguste, d'abord connu sous le nom d'Octave (63 av. JC-14 apr. JC)
     ung blazon de l'empire sur lequel avoit la couronne d'empereur … Aussi estoit il fait d'ancienne façon, ouquel n'avoit point ou chief les lectres comme l'autre, ne le chief aussi n'estoit point de gueulles, ains estoit ledit escu tout plain aux armes de l'empire … Augustes Cezar, f° 69
3. Néron (37-68)
     …le blazon de Neron … estoit la mis, ouquel avoit sans muer ne changer ung pareil escu comme celui dudit Augustes, et n'y avoit de difference autre sinon que ou sercle de la couronne avoit escript en lectre romaine de tresancienne faczon ainsi que cy aprés s'ensuit, c'est assavoir FLAGELLUM DEI…, f°70v
     ["Fléau de Dieu", au Moyen Âge, était plutôt l'appellation donnée à Attila...]
4. Marc Aurèle, Marcus Aurelius Antoninus (121-180)
     …estoit aprés le blazon de Neron celui de Marc Anthoine, empereur des Romains, semblable que les autres que ay ditz cy devant…, f°71

• Les rois
5. David (v. 1000-v. 972 av. JC)
     A la bande opposite des blazons dessus-diz … estoit l'escu du tressaint roy David soubz la couronne d'or, lequel estoit d'azur a une harpe d'or garnie de trente huit ou quarente cordes d'argent … David roy de Judee, f°71v
     5'. Le roi David, LBR41 (©AN) ; l'un des trois preux juifs dans les neuf preux, "d'azur à la harpe d'or"

6. Le cerf ailé, emblème de Charles VII, roi de France de 1422 à 1461, fils du roi Charles V
     …estoit nagueres fait freschement et de nouvelle painture moult richement et tresautentiquement ung cerf volant, blanc comme neige, dont les helles estoient coulorees de plumes vertes, blanches et rouges. Lequel cerf avoit sur sa large rameure haultement posee une coronne d'or chargee de pierrerie riche et resplendissant, dont les fleurons estoient espanoïlz ça et la, lesquielz tenoient grant umbre a merveilles ; et en son coul avoit un lambrequin noué desoubz la gorge, large et plantureux, fait d'azur pur et fin a trois fleurs de liz d'or grandes et reluisans et forment relevees aussi ; lequel cerf se sourdoit plus des trois pars du corps, comme veullant ou voler ou saillir en soy lanczant d'un rosier verdoyant dont roses estoient espanouÿes par lieux et blanches comme lis, f°72v
     [Les armes de France ne peuvent être devinées sur la miniature du f°91 ; on les voit plus nettement sur celle du f°73r]

• Les héros grecs
7. Thésée (fils d'Égée, roi d'Athènes), qui tua le Minotaure
     …ung escu sans coronne, lequel estoit de gueules a ung dragon d'or volant, onglé et denté d'argent,… Theseo, f°72v 
     [La couleur du dragon tire plus sur le bronze (sinople) que sur l'or]
8. Énée (prince troyen, fils d'Anchise et d'Aphrodite)
     A l'opposite du dessusdit escu en avoit ung autre …, cestui escu estoit de sable à ung aigle d'or… Henee troyen, f°73v 
9. Achille (fils de Pélée et de la déesse Thétis)
     Arriere d'autre part estoit ung grant escu … escartelé d'or et d'azur … Archiles, f°74
10. Hercule (fils d'Alcmène et de Jupiter)
     Joignant de l'escu d'Archiles estoit ung autre escu du tiers plus plantureux … lequel estoit de gueules a trois coulonnes sur bout, toutes d'or… Hercules, f°75 
     [Les figures de l'écu font allusion aux colonnes d'Hercule, traditionnellement au nombre de deux seulement, représentant les montagnes qui bordaient le détroit de Gibraltar :  le Rocher de Gibraltar et le mont Abyle ; sur bout indique qu'elles sont en pal, ce que l'on n'indique plus car c'est leur position par défaut]
11. Pâris (fils cadet de Priam, roi de Troie, et d'Hécube)
     Ung bien petit  plus bas et plus a la main droicte estoit ung escu … d'azur a trois crappaux rampans d'or fin ; … Pâris, f°75v
12. Troïlus (fils de Priam)
      De l'autre bande avoit ung presque pareil escu, … lequel estoit d'argent à ung lyon de gueulles assis en une cheiere d'azur, et estoit ledit lyon danté, langué et onglé d'or… Troÿlus, f°76v 
     [La couleur du lion est de sable, avec une touche de gueules (manteau seulement ?) ; la chaire est une sorte de siège à dossier et sans bras]
13. Diomède (fils de Tydée, roi d'Argos)
     A l'opposite estoit ung autre escu d'argent a une hure de sanglier de sable… Deomedes, f°77 
     [La hure est le nom héraldique de la tête de sanglier]
14. Démophon (fils de Tydée, roi d'Argos)
     Emprès du dessudit escu estoit ung autre escu plus ancien d'assez, … lequel estoit d'or a une teste de lyon de gueules, languee d'azur et dentee d'argent… Dem[o]phontes, f°77v

• Les chevaliers de la Table ronde
15. Lancelot du Lac (le plus fameux chevalier de la Table ronde)
     Sur l'un des carrez de ladicte voulte estoit, … ung escu … lequel estoit bandé d'argent et de gueulles ; Lancelot du Lac, f°78v 
     [Le gueules a pris une teinte proche du sable ; F. Bouchet rappelle que Lancelot a porté successivement trois écus d'argent, chargés d'une, de deux puis de trois bandes vermeilles (de gueules) : la représentation ne correspond à aucun de ces trois écus]
     15'. Lancelot du Lac, Ms fr 12597 f° 24 (©BNF)
     Lancelot du Lac. Et portoit en ses armes dargent a troys bandes de bellic cest adire gueulles, 1401-1500, Les noms, armes et blasons des chevaliers et compaignons de la Table Ronde… 
     [bellic a été confondu, à cette époque, avec gueules alors qu'il signifiait "en oblique" et servait à qualifier ce qui était dans la position de la bande]

16. Tristan (neveu du roi Marc de Cornouailles, il tomba amoureux de l'épouse de ce dernier, Iseut)
     Joignant du precedent escu estoit ung autre escu d'or a une bande de pourpre en benouye, … Tristan, f°79v 
     [Le DMF donne pour la locution en benouye le sens de "en bandeau", ce qui donnerait une deuxième fois le sens "en bande" à la bande. La version courante des armes de Tristan est "de sinople au lion d'or, armé et lampassé de gueules". Voir le blasonnement ancien ci-dessous]
     16'. Tristan, Ms fr 12597 f° 27r (©BNF) 
     Lancelot du Lac. Et portoit en ses armes de sinople à ung lion dor arme et langue de gueulles, 1401-1500, Les noms, armes et blasons des chevaliers et compaignons de la Table Ronde… 

17. Ponthus (héros du Roman de Ponthus et Sidoine, présenté comme étant le fils du roi de Galice et de Sidoine, fille du roi de Bretagne)
     … soubz les deux precedens estoit ung escu pendu, lequel estoit noir, gouté de larmes blanches, sans autre difference fors que ledit tableau sur quoy estoit posé ledit escu estoit paint aux armes de Galice, c'est assavoir de gueules a coupes d'or, et le champ estoit semé de trefles d'or aussi. … Ponthus, f°80 
     [Les couleurs qui devraient être blasonnées de sable et d'argent sont décrites avec les termes de français courant, "noir" et "blanches", alors que l'expression goutté de larmes, elle, fait bien partie de la langue du blason]

• Un blasonnement absent du manucrit de Paris, présent dans le manuscrit de Vienne
-- Arthur duc de Bretagne (fils du duc Jean et de la fille du comte de Lancastre, héros du roman Le petit Artus de Bretagne)
     // Joignant duquel estoit un escu d'azur à trois couronnes d'or, … les armes du petit Arthur duc de Bretaigne (cité seulement dans la copie de Vienne) //  
     [Paragraphe absent de la copie de Paris, ce qui explique l'absence d'illustration... car le copiste semble avoir réalisé la confusion faite par l'auteur entre le roi Arthur et Arthur, duc de Bretagne...]
     -- Le roi Arthur, LBR43 (©AN), l'un des trois preux chrétiens dans les neuf preux, "d'azur à trois couronnes d'or, l'une sur l'autre"
     -- Arthur de Bretagne (1393-1458), comte de Richemont, LBR98 (©AN), "d'hermine, au lambel (3) de gueules, chaque pendant chargé de trois léopards d'or"

• Les princes de l'entourage de René d'Anjou, mais de la génération précédente
18. Louis, duc d'Orléans (1371-1407), second fils du roi Charles V, père de Charles d'Orléans, oncle de René d'Anjou
     … un escu gent et riche … il estoit d'azur a trois fleurs de lis d'or et sur le chief avoit trois lambeaux d'argent, et estoit adestré ledit escu d'ung loup d'un des coustez et d'un porc espy d'autre ; Loÿs, duc d'Orleans, f°81v 
     [La formulation concernant le lambel est confuse ; elle devrait être "au lambel d'argent à trois pendants"]
     18'. Le duc d'Orléans, vraisemblablement Charles d'Orléans, ETO f°54 (©BNF)

19. Jean, duc de Berry (1340-1416), frère du roi Charles V, grand-oncle de René d'Anjou 
     Joignant duquel, sans nesune espace, estoit la attaché ung autre escu d'azur a trois fleurs de lis d'or, bordé d'une bordeure de gueulles dentelee, lequel escu si estoit adestré d'un cygne [écrit sisne plus loin] blanc navré [blessé] en la poictrine et de l'autre cousté d'un hours brunet tresbien fait et paint bien proprement ; … Jehan, duc de Berry, f°82v 
     [dentelé ou engrêlé ; les supports de l'écu présentent un singulier intérêt : selon O. Smital et E. Winkler (1927:197), "sa dame anglaise paraît s'être appelée Oursine : d'où le choix de la devise "Oursine le temps venra" et l'adjonction, à droite et à gauche de son écu, d'un ours et d'un cygne"  (cité par F. Bouchet, p.331)]
     19'. Jean, duc de Berry, LBR56 (©AN), "d'azur à trois fleurs de lis d'or, à la bordure engrêlée de gueules"

20. Louis II, duc de Bourbon (1337-1410), beau-frère du roi Charles V et arrière-grand-père de Jean II de Bourbon à qui René d'Anjou adresse son ouvrage
     Ung peu plus bas estoit au costé destre … ung autre escu d'azur semé de fleurs de lis d'or, et en celui escu avoit une bande de gueulles pour difference ; lequel escu estoit environné d'une sainture d'azur en laquelle avoit en lectres d'or escriptes «Esperance», et estoit ledit escu adestré de deux blans chiens camus qu'on appelle marteles. … Loÿs, duc de Bourbon, f°83 
     [marteles "tachetés" (Godefroy), ce qui n'est pas rendu dans l'illustration]
     20'. Le duc de Bourbon, LBR61 (©AN), armes du duché de Bourbon, "d'azur à trois fleurs de lis d'or, au bâton de gueules"

21. soit Philippe II le Hardi (1342-1404), soit plutôt Philippe III le Bon (1396-1467), cousins éloignés de René d'Anjou, le premier de la génération de son grand-père
     Ung petit plus hault estoit emprés de l'escu precedent ung autre escu plus grandet ung petit, lequel estoit de France, de Bourgoigne, de Barbant, de Lembourc, et de Flandres sur le tout. Et le premier quartier estoit d'azur semé de fleurs de lis d'or a une bordeure coponnee d'argent et de gueulles ; le second quartier estoit de Bourgoigne, de six pieces en bande d'or et d'azur a une bordeure de gueulles ; le tiers quartier estoit de Brabant, de sable a ung lyon d'or armé et lempassé de gueulles ; le quart estoit de Lembourc, d'argent a ung lyon de gueulles a la coue forchue, croesee et partie en sautouer, onglé et denté et couronné d'or, lempassé d'azur ; et sur le tout, pour Flandres estoit d'or a ung lyon de sable armé et lampassé de gueulles. Pres duquel escu avoit, autour par dehors ou tableau ou estoit ledit escu assis, petitz fouzilz sur pierres dont sailloient estincelles de feu, lesquielz estoient tresgentement semes par lieux, qui fort embellissoient le tableau, qui estoit mesparty par quartiers de noir et de gris seulement. … Phelippes, duc de Bourgongne, f°84
     [La configuration en cinq quartiers (coupé, puis parti) rappelle celle des armes de René d'Anjou, constituées d'éléments tous différents. Les ducs de Bourgogne portent habituellement leurs armes en écartelé comme on le voit dans l'armorial Le Breton (LBR)]
     21'. Le duc de Bourgogne, LBR58 (©AN), armes du duché de Bourgogne après 1430, "écartelé, aux 1 et 4, d'azur à trois fleurs de lis d'or, à la bordure componée d'argent et de gueules (Valois Bourgogne) ; au 2, parti, bandé d'or et d'azur à la bordure de gueules (Bourgogne), et de sable au lion d'or (Brabant) ; au 3, parti, bandé d'or et d'azur à la bordure de gueules (Bourgogne), et d'argent au lion de gueules (Limbourg) ; sur le tout, d'or au lion de sable (Flandre)" 
     [Armes reprises en LBR82, comme armes de Charles de Bourgogne, comte de Charolais (futur Charles le Téméraire). N.B. Les armes en LBR82 n'auraient pas dû être identiques, mais brisées d'un lambel d'argent.]

• Les princes contemporains de René d'Anjou
22. Charles, duc d'Orléans (1394-1465), poète, cousin germain de René d'Anjou, fils de Charles d'Orléans, cité en 18
     Ung petit plus hault, … de ce mesmes cousté avoit ung blazon bel et riche, … lequel estoit escartelé de France et de Millan, c'est assavoir de France a la destre, d'azur a trois fleurs de lis d'or a trois lambeaux d'argent, et a la senestre, pour Millan, d'argent a une bize d'azur angloutissant ung guelfe de gueulles tout formé ; et es quartiers dudit escu estoit en bas Millan a destre et France aux trois lambeaux d'argent a senestre, par contre des quartiers de dessus. Lequel escu estoit environné d'un camail d'argent et adestré d'un part d'un porc espy et de l'autre d'un loup… ; Charles, duc d'Orleans, f°85 
     [La bisse ou guivre engoulant un guelfe est un rappel du conflit, en Italie, après 1125, entre les factions des Guelfes et des Gibelins. Les premiers soutenaient la dynastie des Welf, la Papauté et la maison d'Anjou, et les seconds les Hohenstaufen, dernière dynastie à avoir pris la tête de l'Empire germanique. Les supports de l'écu cités dans le texte, le porc-épic et le loup, apparaissent sur la miniature du f°85v, mais pas sur la miniature réunissant tous les écus]
     22'. Charles, duc d'Orléans, LBR57 (©AN), "écartelé, aux 1 et 4, d'azur à trois fleurs de lis d'or, au lambel (3) d'argent (Orléans) ; aux 2 et 3, d'argent à la guivre d'azur, couronnée d'or, engoulant un enfant de gueules (Visconti)"

23. Charles Ier, duc de Bourbon (1401-1456), petit-fils de Louis II, cité en 20 et père de Jean II, à qui René d'Anjou dédie son ouvrage
     Ung autre escu ensuivant estoit, d'azur a trois fleurs de lis d'or a une bande de gueulles, autour duquel escu avoit paints potz d'or cassez dont yssoit grans flammes de feu gregeays, et le champ sur quoy les diz potz estoient estoit my parti en quartier de noir et de bleu,… Charles, duc de Bourbon, f°86
     23'. Le duc de Bourbon, LBR61 (©AN), armes du duché de Bourbon (cf. ci-dessus)

24. René d'Anjou (1409-1480), l'auteur
     Ung autre avoit joignant de cestui, lequel estoit plus grant et spacieux. Ou dessus avoit une couronne, lequel estoit a une souche d'or, painte par semblant, la pendu, et n'avoit ladicte souche que ung seulet vert cyon ; lequel escu estoit en chief de trois royaumes parti, de Hongrie, de Sicile et de Jherusalem, et en pié aussi de deux duchez, c'est assavoir d'Anjou et de Bar. Et pour Hongrie estoit fessé de huit pieces d'argent et de gueulles ; pour Sicile, d'azur semé de fleurs de lis d'or à ung rateau [sic lambel] de gueulles ; et pour Jherusalem, d'argent a une croix d'or potencee et quatre croix d'or dedans les quatres quartiers ; et pour Anjou, d'azur semé de fleurs de lis d'or a une bordeure de gueulles ; et pour Bar, d'azur a deux bars d'or semé de croisectes croisetees d'or au pau [sic pié] fichié… ; René, roy de Jherusalem et de Sicile, f°86v
     24'. René d'Anjou, roi de Hongrie, de Jérusalem et de Sicile, duc d'Anjou, de Bar et de Lorraine, LBR22 (©AN), "parti de deux traits et coupé d'un, au 1, fascé d'argent et de gueules (Hongrie) ; au 2, d'azur semé de fleurs de lis d'or, au lambel (3) de gueules (Anjou-Naples) ; au 3, d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes du même (Jérusalem) ; au 4, d'azur à la fleur de lis d'or (mise pour un semé), à la bordure de gueules (Anjou) ; au 5, d'azur semé de croisettes recroisetées au pied fiché d'or, à deux bars adossés du même (Bar) ; au 6, d'or à la bande de gueules chargée de trois alérions d'argent (Lorraine)" 
     [La formule des armoiries sous forme de six quartiers était résumée autrefois par "l'écu aux trois royaumes sur trois duchés"]

25. Louis (1423-1483), fils du roi Charles VII, encore dauphin du Viennois en 1457, et qui deviendra Louis XI en 1461 (neveu de René d'Anjou, car la mère de Louis était Marie d'Anjou)
Pres de celui la escu estoit ung bien peu plus hault et au destre cousté ung autre escu, lequel estoit escartelé, c'est assavoir le destre quartier en chief d'azur a trois fleurs de lis d'or, et le senestre quartier en chief estoit d'or a ung daulphin d'azur, et pareillement a l'opposite les deux quartiers d'embas estoient suivans… ; Loÿs de France, dauphin de Viennoys, f°87v 
     [Les détails concernant la figure du dauphin ne sont pas blasonnés mais sont représentés]
     25'. Le dauphin [futur Louis XI], LBR 55 (©AN), "écartelé, aux 1 et 4, d'azur à trois fleurs de lis d'or (France) ; aux 2 et 3, d'or au dauphin d'azur, oreillé d'argent et lampassé de gueules (Dauphiné de Viennois)"

26. Charles II d'Anjou, comte du Maine (1412-1472), frère cadet de René d'Anjou, beau-frère de Louis de Luxembourg, cité en 28
     Touchant duquel escu dessusdit estoit un autre escu en une chardonniere, dont les chardons et aussi bien les fueilles estoient moult gentement rehaussees et pourtraictes d'or, les chardons d'or et les fueilles de vert, lequel escu estoit d'azur a trois fleurs de lis d'or, bordé de gueulles, et dessus la bordeure en chief avoit ung lyonnet rampant d'argent tant seulement… ; Charles d'Anjou, conte du Maine, f°88v 
     [Le lionceau (lyonnet) est représenté sur toute la largeur du haut de l'écu, alors qu'il devrait apparaître en tout petit en haut à gauche (et dressé ?, car il est spécifié comme étant rampant]
     26'. Charles d'Anjou, comte du Maine, LBR80 (©AN), "d'azur à trois fleurs de lis d'or, à la bordure de gueules" 
     [Il manque la brisure au lionceau d'argent qui aurait dû se trouver en chef à dextre sur la bordure]

27. probablement Gaston IV de Foix (†1472)
     Après ledit escu … estoit plus bas ung autre bel et riche escu, autour duquel y avoit en semeure roes de chariot desfaictes et rompues, entre lesquelles roes avoit petiz roletz dedans, esquielz estoit escript «À refaire». Lequel escu estoit escartelé de Foix et aussi d'Arragon, dont le premier quartier estoit d'or a deux vaches de gueulles, et le second estoit d'or a quatre paulx de gueulles… ; Gascon de Foix, f°89 
     [La formule "d'or à quatre pals de gueules" est une variante de "de gueules à trois pals d'or"]
     27'. Le comte de Foix, LBR102 (©AN), Le comté de Foix, "écartelé, au 1, de gueules au rai de chaînes d'or (Navarre) ; au 2, d'or à trois pals de gueules (Foix) ; au 3, d'or à deux vaches de gueules, colletées, clarinées et accornées d'argent (Béarn) ; au 4, d'azur à trois fleurs de lis d'or, à la bande componée d'argent et de gueules (Évreux) ; sur le tout, d'or à deux léopards de gueules (Bigorre)"

28. Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol (1418-1475), beau-frère de Charles d'Anjou cité en 26
     Joignant dudit escu estoit ung autre escu, lequel estoit d'argent, a ung lyon rampant de gueulles a une queue fourchue, croisee et partie en sautouer, unglé, denté et couronné d'or et lampassé d'azur, environné dehors de petiz floz, dont les ungs estoient bleuz et les autres tous noirs …; Loÿs de Luxembourg, f°90 
     [Comme dans plusieurs écus, le gueules a viré au sable ; la queue du lion est représentée ni fourchée, ni passée en sautoir et les détails décrits concernant la couleur des griffes, des dents, de la couronne et de la langue ne sont, cette fois-ci, pas représentés]
     28'. Le comte de Saint-Pol, LBR85 (©AN), armes de la branche de la maison de Luxembourg, issue de Waleran de Luxembourg, "d'argent au lion à la queue fourchée de gueules, armé et couronné d'or, lampassé d'azur"

29. Louis de Beauvau (env. 1418-1462), sénéchal d'Anjou puis de Provence au service de René d'Anjou
     A part seulet pres des autres blazons, en ung lieu ung peu plus obscur que les autres apparois, trouvay blazon de riche estoffe fait bien bel et riche, c'est assavoir escartelé de Beauvau et de Craon : de Beauvau, d'argent a quatre lyons rampans de gueulles, et de Craon, a lozenges d'or et de gueulles ; duquel escu estoit le tableau environné de quatre crocs en crochez a l'un l'autre, et y avoit escript emprés en grosse lectre de forme d'or et d'azur faicte bien richement «Sans departir». … Loÿs, seigneur de Beauvau, f°90v 
     [Le lion est considéré comme rampant par défaut à l'heure actuelle ; la formule aux losanges d'or et de gueules est devenue losangé d'or et de gueules]
     29'. Famille de Beauvau, France (Rolland, vol. 1, pl. CLV, 1903)
     29". Famille de Craon, Anjou, Bretagne (Rolland, vol. 2, pl. CXLVIII, sans date : peut-être 1906)

     Les armes de Louis de Beauvau ont été remplacées, dans la copie de Vienne, par les armes de Pierre de Brézé, d'asur a ung faulx escu d'or, orlé de neuf croisetes de mesmes a ung escusson d'argent au meillieu.
     29"'. Famille de Brézé, comtes de Maulévrier, Normandie, "d'azur à l'écusson d'argent bordé d'or, à l'orle de dix croisettes du même" (Rolland, vol. 1, pl. CCCXVII, 1903)

• Pour aller plus loin - La langue du blason et les illustrations en 1457
     La production de ce manuscrit a fait intervenir trois personnes : l'auteur René d'Anjou, le copiste (non identifié) et l'enlumineur (non identifié).
• La langue courante
     Le texte est en moyen français. Beaucoup d'éléments orthographiques sont plus phonétiques qu'étymologiques : l'orthographe du français n'a pas encore été fixée.
     On retrouve le foisonnement habituel de variantes orthographiques (espanoïlz (masc.) /espanouÿes (fém.)), exception faite de certains termes du blason comme blazon, fleur de lis ou lyon
     L'article indéfini "un" a gardé la graphie ung.
     On rencontre l'alternance e/a pour toutes les graphies |en| / |an| actuelles.
     Les accents sur les voyelles ne sont pas toujours notés (a/à). Dans les adjectifs qui se terminent actuellement par -é/-ée, seul le masculin est marqué par l'accent aigu. Beaucoup de "é-" à l'initiale ou en intervocalique du français moderne sont rendus par es-.
     Le son |s| peut être rendu par s/c/cz.
     Le pluriel est aussi marqué par la terminaison -z.
     Certains mots actuellement à initiale vocalique, commençaient alors avec un h comme hours pour "ours" ou helles pour "ailes".
     La 3e personne du singulier de l'imparfait a encore une terminaison en -oit.
     La voyelle "e" est utilisée pour différencier artificiellement le "u" et le "v", comme dans bord[e]ure, ram[e]ure, sem[e]ure.
     La graphie fueille n'a pas encore évolué en "feuille", ni chief en "chef". L'étymologie est bien présente dans des termes comme escript, coul ou umbre, mais il est plus difficile de comprendre la graphie de lectre (< latin littera), sans faire appel à une influence du mot "lecture". On trouve néanmoins une série en -ectre là ou le français moderne écrit "-ettre".
     On rencontre un cas de métathèse dans le nom de lieu Barbant/Brabant.
• La langue du blason
     Le copiste possède un bon niveau de connaissance du blason, mis à part quelques coquilles (masculin au lieu de féminin pour l'aigle, appellation du lambel en "rateau"). Il fait preuve de prudence en évitant de recopier un paragraphe qui lui paraissait fautif (confusion, par René d'Anjou, du roi Arthur avec le petit Arthur de Bretagne).
     Le mot pal a gardé son pluriel en paux/paulx.
     La langue du blason est correctement utilisée et réservée à la description des écus et non à ce qui les entoure. Par contre, si le terme escu désigne bien la représentation graphique du bouclier, le terme blazon correspond à l'ensemble des armoiries (écu avec couronne, supports...)
     Les détails concernant le lion sont ici tous différenciés par la couleur, alors qu'ils n'étaient pas blasonnés aux débuts de l'héraldique, hormis le fait pour un lion d'être couronné ou d'avoir la queue fourchée (seuls détails pertinents à l'époque)
     L'utilisation de diminutifs pour les petites figures n'est pas systématique : lyonnet mais ailleurs lyon, escusson, croisectes mais ailleurs croix.
     La formule escartelé est parfois remplacée par des locutions complexes qui ont disparu depuis lors.
• L'enluminure
     L'enlumineur n'a pas disposé les écus dans l'ordre indiqué par l'auteur, quelques détails ne sont pas corrects telle la représentation du lionceau servant de brisure, des détails ont été restitués que l'auteur n'avait pas mentionné. Les illustrations sont en grande majorité fidèles au texte, ce qui indique une bonne culture héraldique de l'enlumineur.
     Les supports des écus sont bien représentés et c'est un point important car ils permettent souvent de différencier deux individus d'une même famille.

• Bibliographie sélective
-- ANJOU (René d'), 2003, Le Livre du Cœur d'amour épris, texte présenté, établi, traduit et annoté par Florence BOUCHET, Paris, Libraire Générale Française (Le Livre de Poche n°4567 "Lettres gothiques")  [Édition du ms. fr 24399 de la Bibliothèque nationale de France]
-- ANJOU (René duc d'), 1927, Livre du Cuer d'Amours espris, édité par O. Smital et E. Winkler, Vienne, Éditions de L'Imprimerie de l'État autrichien, 2 vol. [Édition du ms. 2597 de la Bibliothèque nationale de Vienne]
-- Anonyme, 1401-1499, Les noms, armes et blasons des chevaliers et compaignons de la Table ronde, au temps que ils jurèrent la Queste du Sainct Graal..., BNF, Ms fr 12597 (en ligne)
-- Bibliothèque nationale de France, [après 2003], Le Cœur d'Amour épris, exposition multimedia dans les "Livres à feuilleter" en ligne.
-- POIRION (Daniel), 1990, Les tombeaux allégoriques et la poétique de l'inscription dans le Livre du Cuer d'Amours espris de René d'Anjou (1457), Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 134(2), 1990, p. 321-334. (sur Persee)

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